• 1er juillet 2020
    Presque un an après le dernier texte
    La régularité l'emportera
    00h45

    "Quitte à baisser dans votre estime... Je suis toxico".
    Les mots m'ont échappé comme s'ils avaient toujours eu une furieuse envie de quitter mon for intérieur. Je ne sais pas si je dois regretter mes termes ou me sentir libérée d'avoir avoué cette vérité. Je me rattrape.
    Si ça peut vous rassurer, je ne suis pas de ceux qui se piquent, de ceux qui vont discrètement acheter leur consommation illégale dans les ruelles la nuit. Je ne suis pas de ceux-là mais je suis la même qu'eux. Je consomme une substance légale, réglementée mais légale. Les dépendances et les drogues ont toujours cette image si négative, si "il a qu'à faire des efforts aussi c'est sa faute s'il est tombé là-dedans", si clichée. Je n'avais rien demandé. Mon adolescence s'est construite sur les consommations de tramadol alors que j'ai grandi en campagne, dans une famille soudée et aimante, j'étais un enfant presque sage et particulièrement douée à l'école. Rien ne me prédestinait, selon les stéréotypes, à une consommation si régulière à l'âge de vingt ans.
    Vingt ans. Il paraît que c'est un bel âge et que j'ai tout à découvrir. Je suis dans une phase où je me demande si je serai encore en vie dans cinq ans. Pas défaitiste, simplement réaliste. J'ai perdu pied. J'ignore où je vais, comment m'en sortir, à qui demander pour être aidée. J'ignore si je suis davantage dans le "je veux arrêter" ou "il faut que j'arrête".

    Je me suis noyée cette année. "J'en prends juste pour les rattrapages histoire de me motiver et de réviser efficacement et j'arrête." Je n'ai jamais arrêté. J'ai fait quelques sevrages sauvages d'une durée de cinq à vingt-sept jours en octobre, janvier et mai. En retombant à chaque fois. Foutue dépendance psychologique.
    J'ai parallèlement adoré cette année universitaire. Je ne sais pas si je dois mettre cette joie sur le dos des drogues ou si cette année m'a réellement permis de m'épanouir. Est ce que j'aurais été aussi heureuse cette année sans cette substance ?

    Si j'assume et suis transparente avec mes amis là-dessus aujourd'hui, ça n'a pas toujours été le cas. L'image négative et stéréotypée de la consommation de drogue m'a longtemps rendue honteuse et je ne voulais pas déranger. J'ai systématiquement peur de déranger les gens avec ma vie. Je prends un soin considérable à protéger les gens des choses que je pourrais faire, je limite les conversations car j'ai peur d'être ennuyeuse, j'ai peur de déranger, j'ai peur qu'ils s'inquiètent. Et j'encaisse tout. Je préserve tout le monde sauf moi. On dirait que je me déteste. Je ne sais pas si c'est vrai. Je me fais passer au second plan dans un problème qui ne concerne que moi et qui devient horriblement urgent. Et je n'agis pourtant toujours pas. Par peur, par honte, par appréhension de retrouver la réalité. Ma vie est bien sans drogue mais elle est tellement meilleure avec. Comme je l'écrivais si bien, "mon bonheur est remboursé par la sécu". Je ne trouve aucune contrainte au tramadol. Il me rend agréable, efficace, motivée, inspirée. Les consultations et le produit sont remboursés intégralement. Je ne me réveille pas avec une gueule de bois monstrueuse le lendemain.
    Mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Je n'imagine plus l'état de mon foie ni de mes reins. Je commence à voir les effets physiologiques : je ne suis plus capable de me concentrer sur deux choses en même temps, mon ouïe est devenue horriblement sensible, je suis déconnectée de mes émotions et des conversations, je ne réagis plus à ce qu'on me dit, j'ai des pertes de mémoire considérables jusqu'à oublier de me nourrir plusieurs jours d'affilée. Et j'occulte tout ça en continuant à me persuader que les drogues c'est merveilleux, alors que j'ai depuis très longtemps dépassé la phase du déni.

    Arrivée à une période où je n'ai pas envie d'essayer d'arrêter, où je ne pense qu'à attendre la mort pour me sortir de là. Je ne provoquerai jamais la mort, je l'attends simplement sagement sans angoisse. La mort et ses effets libérateurs. Il faut arrêter d'en avoir peur, c'est une camarade agréable.

    Une nouvelle vie commence pour moi dans deux mois, dans une ville que je ne connais pas, un département que je ne connais pas, une région que je ne connais pas. Loin de mes amis, ma famille, mon copain, mes piliers, mais également loin de mes habitudes de consommation. Une bousculade qui va être quitte ou double. Le stress de cette nouveauté et cette solitude peut me faire retomber à une vitesse inimaginable ; à l'inverse, avoir l'impression de recommencer, de ne tourner que la partie négative d'une page du livre peut m'aider à repartir du bon pied.

    Je dois me préparer à tout ça. Je n'ai plus le droit à l'erreur, plus le droit à une consommation excessive qui m'emmènerait aux urgences dans les minutes qui suivraient. Je n'aurai personne pour me venir en aide sur place si j'en ai besoin. Aussi angoissant qu'encourageant.

    Un nouveau texte bien décousu pour me permettre de faire le point sur ma situation. Je ne suis certes pas l'étudiante sérieuse et déterminée dont je renvoie l'image, ou peut-être un peu quand même, il y a aussi ce boulet que je traîne comme une prisonnière depuis sept  ans. J'ignore ce que je vais devenir, si j'ai été condamnée à la réclusion à perpétuité ou si j'aurai droit à une réduction de peine. Je crois que c'est à moi de choisir.


    Texte trente-huitième, "Je crois que c'est à moi de choisir"




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  •  

    Encore un texte à l’arrache, sans relecture, sans même avoir de réelle inspiration pour écrire. Aucune phrase préparée en tête. Juste la haine de moi-même qui souhaite s’envoler, la haine de ces jours qui se ressemblent une fois de plus. Je ne sortirai jamais de ces drogues. Jamais, jamais, jamais. Née pour ça. Je me revois à quatorze ou quinze ans, m’imaginant l’âge adulte comme un cap tellement lointain : « j’ai le temps, j’aurai arrêté d’ici-là ». A la Clara d’il y a cinq ans : non, tu n’auras pas arrêté.
    Sous prétexte que je suis moins « efficace » dans mes révisions sans substance. C’est faux. Trois cachets aujourd’hui et encore une journée à rien branler, repousser mes fiches, alterner une douce et agréable somnolence avec la culpabilité de ne pas travailler. Les démangeaisons que m’apportent cette merde et l’angoisse quotidienne de voir mon stock diminuer. Une incarcérante liberté. Le plaisir de la consommation mêlé au stress du « je vais devoir arrêter, un jour ». Incapable de faire ça. Si j’avais eu la force pour ça, je n’en serais pas là actuellement. Pas là à gribouiller des textes dégueu, le casque sur les oreilles, musiques déprimantes en fond pour rajouter une dose de pluie dans ma journée. J’aurais pu être une étudiante sérieuse, régulière, clean. En réalité, je ne suis que mensonge. Consommer pour travailler, consommer comme on triche. Encore une question de légitimité.  Je n’ai ma place nulle part. Et étrangement, je ne me plains pas de la situation.  Je ne demande pas d’aide. Je ne souhaite pas m’en sortir, en fait. Trop de bonheur dans ces petits cachets orangés. Un simple moyen d’échapper un peu à la longueur habituelle des journées, aux douleurs quotidiennes, sans pour autant m’empêcher quoi que ce soit.
    Je réviserai demain


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  • Peut-être égoïste de dire que les coups ne sont pas graves.
    On m'a donné des coups. Beaucoup. D'accord, ça fait chier, ça fait mal, ça fait des frais médicaux.
    Est-ce que je suis encore en vie ? Oui. Parce que les coups sont temporaires. Les traces sont temporaires.

    On m'a agressée, d'une nature totalement différente. Une approche psychologique, réfléchie, animale.
    Est-ce que je suis encore en vie ? Non.


    Parce que c'est cette violence sous-entendue, qu'on préfère ignorer, qui détruit.


    Et j'ai envie de m'insulter en écrivant ce texte de but en blanc, directement sur mon blog sans le préparer en amont, comme d'habitude. Des dizaines de femmes meurent sous les coups de leurs conjoints chaque année. Et j'écris ma peine et ma haine, utilisant un vocabulaire beaucoup trop maladroit qui minimiserait la violence conjugale. J'ai développé une phobie maladive de la violence, même lorsqu'elle ne touche que la fiction. Et pourtant, pas capable de m'exprimer.

    Pardon. Pardon d'avoir merdé. Pardon d'avoir été agressée. Pardon d'user de termes que je devrais garder dans le crâne. Pardon de toujours faire n'importe quoi


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  • 21.12.19
    15h56

      Je ne me suis jamais sentie légitime à me plaindre.

    Certaines ont été agressées des dizaines de fois, si ce n’est des centaines, parfois pendant des années. Certaines avec des violences physiques, prisonnières de relations malsaines avec des personnes dont elles étaient incapables de se séparer, par peur. Des agressions parfois quotidiennes, et ces filles sont restées dans le silence la plupart du temps. Guerrières. Soldats. Courageuses.


    Une fois. Incapable de rester debout sur mes deux pieds, après une seule fois. Un instant indéterminé dans l’espace de toute une vie. Légitimité face à celles qui ont subi ces horreurs un nombre incalculable de fois ? Aucune.


    Témoin du silence dans lequel je m’enferme. Me taire parce que « ce n’était qu’une fois ». Crier tout bas grâce à des écrits publics en espérant que la magie opère, qu’on me vienne en aide, sans même savoir ce que j’attends. Personne ne peut rien faire, même pas moi. Pas de preuve, pas d’agression. Rien n’a existé. J’aimerais que cette absence de preuves fonctionne sur mon cerveau, et me permette d’oublier. De me réapproprier le corps que j’ai, que je déteste, que je suis incapable de regarder longuement et que je ne cesse de maltraiter, insoutenable besoin d’extérioriser ma haine. Retrouver la confiance en moi que j’avais, avant. « Avant », quand je pensais qu’on m’écoutait quand je disais non. Estime de soi ? Volée. Corps ? Détruit. Relations ? Compliquées. Esprit ? En mille morceaux, tiraillée sans arrêt entre m’imputer la faute et écouter mon innocence.


    Tout ça pour ça. Tout ça pour quelques minutes, tandis que d’autres restent dans le silence après des années de violences.


    Je ne suis pas légitime.
    Une seule fois.


    Poussière 17 - "Il était une fois"

     


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