• Mardi. Solitude encore et toujours. Psychiatrie encore et toujours. Silence encore et toujours.
    J'ai fait un bon malaise dans la matinée. Perte de connaissance, tout ce délire. En même temps, classique quand on a rien mangé et rien bu depuis quatre jours. Je suis perfusée jusqu'à ce que j'estime être apte à manger par moi-même. On m'a proposé d'intégrer mon Subutex au mélange de la poche. Sûrement pas. J'ai trop besoin de ce contact direct avec mes médicaments.

    Vers le milieu d'après-midi, des sanglots résonnaient dans le couloir. Emma est virée, définitivement. De ce que j'ai entendu, de la cocaïne a été trouvée dans ses affaires. La loi de la clinique est dure et inviolable. Le moindre écart est sanctionné d'une exclusion. C'est le contrat.
    Je suis triste pour elle mais je n'y ferai rien de plus. Je n'ai pas la force de quitter mon lit pour aller la voir. Une heure plus tard, Emma a quitté les lieux et son dossier a rejoint le fin fond des étagères.

    Je ne survis plus ici. J'étouffe. Je veux rentrer, vraiment. Me poser chez moi avec Netflix, une bonne série, du Ice tea et du pop-corn. Retrouver mon quotidien et arrêter ce combat acharné que je n'ai plus la force de mener.
    J'ai passé une partie de la journée à pleurer mon angoisse et ma haine. Je sais que je ne m'en sortirai pas, je n'arrive pas à y croire de manière sérieuse. J'ai l'impression que m'extraire de tout ça ne relève que du hasard. C'est LE point sur lequel je n'arrive pas à croire en moi.
    Je veux m'en aller. Je n'aurais jamais dû demander à venir ici. Je n'aurais jamais dû en parler. J'aurais tellement dû rester là où j'étais, dans la vie que je menais. C'était la merde mais je gérais. Je ne gère plus rien désormais. Je suis surveillée 24h sur 24, personne ne nous fait confiance, on nous gave de substituts à nos dépendances et on attend que le temps passe.
    Laissez-moi sortir, par pitié.


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  • On est lundi. A priori, il est quatre ou cinq heures du matin. Je ne mange plus, je ne dors plus, je ne parle plus. Les gens ici me terrifient. J'ai l'impression que je deviens folle. Ça ne fait que deux jours. Je subis. Je subis encore et encore.
    J'ai appelé un médecin en le suppliant pour avoir ma dose de la journée et un somnifère. Je n'obtiens que le somnifère. Ça fera l'affaire. Je décède. J'ai la tête qui tourne perpétuellement. Je regagne ma chambre.

    Seize heures trente. Dix bonnes heures de sommeil factice. Je ne me sens pas reposée, mais j'ai niqué environ une journée.
    Mon cachet de Subutex et la journée continue. La même question du psy, la même demi-heure de silence qu'hier. Le même « je vous revois demain ». Ouais si tu veux.
    Je me pose devant la télé ou un gars que je n'ai jamais vu zappe entre deux chaînes d'infos. Il ne desserre pas les dents lorsque je le salue. Bienvenue au club des muets.
    Trois heures que je regarde BFM en boucle. Rien de passionnant. Je prends un livre. La Ferme des animaux, d'Orwell. Déjà lu un million de fois, mais rien d'autre ne me tente.

    Vingt-deux heures cinquante. J'ai repéré depuis quelques temps l'ordinateur fixe du salon. J'ai par hasard demandé à l'inf si je peux m'en servir. Grande surprise puisqu'elle me dit oui.
    Vite. Messenger, contacter mes potes et leur dire que je suis encore en vie. Des conversations avec humour qui me font un bien fou. Je meurs de solitude ici et parler avec des gens que je connais me permet enfin de revivre.

    Le deuxième infirmier commence à râler en disant que j'ai passé trop de temps sur cet ordinateur. Je capitule. Je retourne me coucher. J'ai l'impression de ne faire que ça de mes journées.


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  • Dimanche, neuf heures. Pharmacie pour obtenir mon Subutex de la journée. On m'en donne 8 milligrammes aujourd'hui, dans le but d'arriver à 2 milligrammes à la fin de la semaine, pour que je finisse mon sevrage seule chez moi. Je prends le cachet et le laisse fondre sous ma langue. C'est dégueulasse.
    Le psychiatre me croise et demande à me voir. Je m'assois face au bureau. Il me pose des questions banales, puis cherche à savoir pourquoi j'ai commencé à me droguer. Je n'en sais rien. Je ne réponds pas. Je lui dis que je ne sais pas. S'ensuivent vingt bonnes minutes de silence.
    Il m'a libérée, en disant qu'il veut me revoir demain. Grand bien lui fasse.
    Je vais me recoucher. Les nuits ici ne sont pas reposantes et la plupart des autres patients dorment la journée. Je m'adapte. De toute façon, sans téléphone, sans accès internet, sans le moindre contact avec l'extérieur, je n'ai pas grand-chose d'autre à faire.
    Quinze heures environ. Je me réveille la langue pâteuse, les mains tremblantes et le corps en sueur. Je sais ce que ça veut dire. Qu'il est temps d'aller réclamer une dose de quelque chose avant de faire une crise. La politesse fera une part, ma pâleur et mes tremblements feront le reste.

    Calmée. Je rejoins le salon où Charlie et Emma jouent au Scrabble. Arrivée ici pour jouer au Scrabble, vraiment. Triste. Je me joins à elles. On discute encore de nos vies. On n'a que ça à faire, de toute façon.
    Vingt-et-une heures, l'animation débute ici. Tout le monde est levé et le repas est distribué, dans des assiettes en carton bouilli, avec des couverts en carton aussi. Comme en prison, oui. Sûrement leur peur que l'on se blesse.
    L'équipe médicale nous surveille. Perpétuellement. Et s'ils ne sont pas là physiquement, les caméras prennent le relais. On ne peut pas grailler tranquille, on ne peut pas dormir tranquille, on ne peut pas essayer de vivre tranquille.
    C'est angoissant. Tellement que je n'arrive pas à manger. Rien, depuis que je suis arrivée. Rien à foutre. Je ne ressens plus la faim. Hier, les médecins ont dit que c'était normal. Aujourd'hui, ils ont dit que je faisais un caprice. Lol.


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  •   Samedi. 13h. J'ai relu et re-signé le règlement, comme si mon esprit ne l'avait pas encore assez imprimé. On m'a fait ouvrir ma valise, on l'a fouillée, on m'a retiré la plupart de mes affaires. On a vidé mes poches, même sort pour les deux-trois trucs qui y traînaient.
    L'infirmière s'appelle Sandrine. Elle m'a montré les locaux, ma chambre. Quatre mètres carrés, un lit, une table, une chaise, une armoire et un lavabo déglingué. Des draps pliés sur le matelas et un oreiller jauni.
    Sandrine m'a laissée ranger mes affaires et est sortie. Seule entre ces quatre murs plus angoissants que mon avenir.

      On m'a appelée pour rencontrer l'équipe médicale. Sandrine et Léon sont les deux infirmiers du service. Philippe le pharmacien. Monsieur Foch est psychiatre. Je dois le voir tous les jours. Mon Dieu. Les médecins sont en retrait et je ne connais pas leurs noms. Peu m'importe de toute façon.
    Les locaux sont froids. Des couloirs sales, un salon lumineux et vieilli où trône un minuscule canapé en face d'une minuscule télé. Une bibliothèque, des livres, des jeux de société. Une salle de sport. De quoi nous occuper la tête et les mains, en fait.
    J'ai six jours et vingt-deux heures à passer ici. Cent soixante-six heures. Je n'ai pas de commentaire à faire sur la durée de ce contrat.

      Une fille est arrivée au même moment que moi. Elle s'appelle Emma, a vingt-deux ans et se drogue à la cocaïne depuis qu'elle en a seize. On est dans la même merde, l'ami.
    Et il y a Charlie. Elle a vingt-huit ans et c'est son cinquième sevrage ici. Elle nous raconte son passé hospitalier, sa vie avec la drogue, sa volonté de combattre et sa faiblesse. Elle me fait peur.
    D'après Charlie, on est neuf dans le service. Elle nous parle d'Eric, le quarantenaire alcoolique qui n'aime que les blagues beaufs. De Mehdi, le « junkie » ici depuis treize mois. Treize mois. Je ne supporterai pas treize jours ici.

      J'ai découvert par moi-même l'existence de Thomas. Il loge dans la chambre à côté de la mienne et hurle son manque de drogues lors de violentes crises qui lui durent toute la nuit.

    La semaine va être longue.


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