• 30.03.18
    2h47
    Modifié le 31.03.18 22h20

       Elle traverse la route, prudente, après avoir bien regardé à gauche et à droite plusieurs fois, en respectant le petit pictogramme lumineux vert sur le feu de signalisation. Elle s’approche du bâtiment, démarche spéciale, étrange ; un pantin dont un géant tirerait les ficelles, un jouet mécanique qu’un enfant aurait remonté, un robot sur lequel on aurait activé le pilote automatique.
    Elle s’approche, elle a les yeux vides, froids et humides. La peau pâle, blême, couleur décès proche, couleur cadavre, couleur fantôme, couleur regret. Elle arrive, sourit bêtement, presque instinctivement, ses mains tremblent, ses genoux se heurtent comme si elle avait froid. Elle parle sans desserrer les dents, ses mots se perdent dans une cage de silence létal dont elle seule possède la clé, elle parle peu et à la manière d’une personne ivre, elle parle peu et c’est l’incohérence qui traverse ses lèvres bleutées.

       Elle a échoué.

    Texte trente-et-unième, "Extérieur"


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  • 31.03.18

     Elle sait qu’il est dangereux de s’aventurer en dehors de son appartement lorsqu’elle est dans cet état, dans son état second apporté par les médicaments qu’elle a avalés sans raison, elle a la chance d’être saine, d’avoir une santé correcte, et elle n’en profite pas, aujourd’hui il lui reste un corps de dix-huit ans qu’elle a sali par pure volonté ces quatre dernières années, elle peut encore s’en sortir, elle n’y arrive pas, revendique sa dépendance par écrit uniquement, elle a peur d’être jugée, elle a peur d’en parler, elle s’empoisonne gentiment, seule dans le plus grand silence, elle se sait malade d’addiction mais refuse d’admettre que c’est elle qui s’est pris la main pour se noyer dans cet océan de boue, elle culpabilise, voudrait retourner dans le passé pour ne pas sombrer, revivre son adolescence de manière propre et libre, elle ne peut que redevenir maîtresse de l’avenir, de sa vie, de son corps, de son cerveau, qu’ils arrêtent de lui dicter le comportement qu’elle doit tenir au quotidien, comprendre que les drogues ne sont pas une solution, ce n’est qu’une caresse illusoire qui ne la mènera nulle part ; et pourtant elle continue, elle essaie, elle expérimente, elle expérimente de nouvelles substances mais surtout le manque, le sevrage, elle veut quitter cette prison de plexiglas, on dirait qu’elle en a perdu la clé, elle veut fuir cet univers de plastique fragile, de fer-blanc qu’elle croit résistant mais non, pas du tout, rien n’est plus cassant que le monde dans lequel elle vit, rien n’est stable, rien n’est certain, elle le sait, elle veut voler de ses propres ailes, elle commence à en parler, elle démarre des thérapies avant de les abandonner par faiblesse, elle contacte ses amis quand elle va mal, elle cherche du réconfort, des piliers, des gens pour lui poser les barrières qu’elle est incapable de déterminer, bercée par l’habitude elle se convainc que ce n’est plus important et que les risques ont disparu, « Je sais ce que je fais, je sais les doses que je prends, je sais que c’est mal mais juste cette fois allez », elle se sépare de cette vie de taularde petit à petit, elle se sépare de ses drogues, elle commence à réussir et parfois elle trébuche, on la relève comme un enfant, elle se vexe mais elle reprend pied ensuite, elle a décidé de devenir quelqu’un de bien, de faire attention à sa santé, de prendre soin d’elle, elle veut que ses amis lui fassent confiance, elle aime les défis, elle veut les relever haut la main et pour ça elle a besoin du soutien de son entourage qu’elle avait pourtant toujours refusé, elle commence à saisir les mains qu’on lui tend, on dirait qu’elle a retrouvé les clés qu’elle semblait avoir perdu, elle remonte la pente, deux pas en avant un pas en arrière oui c’est sûr, mais bientôt ce sera trois pas en avant pour un seul pas en arrière, et de plus en plus, elle y arrivera, elle mettra la clé dans la serrure, elle trouvera l’énergie qui lui manquait pour tourner et courir dehors, elle quittera tout ça, mais la porte restera ouverte, elle sait qu’elle pourra retomber à n’importe quel moment.
    Elle aura ce but vital de ne jamais regagner cette prison qu’elle a déjà beaucoup trop occupée.


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  • 29.03.18

    Mets-toi à pleurer si tu veux, ça ne changera rien. On dirait un enfant capricieux.
    Tu as peur : peur de ne pas y arriver ou peur de l’état dans lequel tu seras sans tes drogues ? Pose-toi les bonnes questions, les questions qui fâchent. Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu paniques ? Pourquoi tu as commencé ? Pourquoi tu n’en sors pas ? Pourquoi tu te mens à toi-même ? Penses-tu vraiment que tu n’y arriveras jamais ?
    Reprends l’histoire au début si ça te chante, mais ce n’est pas un saut de 4 ans dans le passé qui te donnera les solutions à ton problème.
    Arrête d’avaler n’importe quoi pour t’occuper ou pour te rassurer. Ça ne t’apporte qu’angoisse et culpabilité.
    Arrête de te persuader que c’est bon pour toi.
    Arrêter de te persuader que ce n’est pas grave.


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  • Jeudi.
    Deux heures du matin. Je sors d'une douche brûlante qui m'a évité une crise. Le Subutex ne me suffira jamais. Je dois retrouver mes drogues d'origine.

    Animation dans le salon. Le muet est là, encore devant BFM. Miracle, il me dit « bonjour ». Il me pose des questions sur moi, sur ma vie, sur ma présence ici. Le muet a une voix. Une voix cassée par les fumées. Une voix qui me raconte son histoire de drogué depuis l'enfance. Une voix qui me raconte le décès de son père lorsqu'il avait 12 ans, l'absence insupportable, la rupture du dialogue avec sa mère qui faisait passer son travail avant son fils, les sales fréquentations, le cannabis avec les potes à quinze ans, et sa présence ici après vingt années de drogue. La volonté de s'en sortir depuis la naissance de son enfant en 2015. Il lutte. Je l'admire.
    Je n'irai jamais jusque-là. Je le sais. Je n'arrive plus. Mes crises sont devenues intenables et je n'arrive toujours pas à les gérer.

    Trois heures quinze. Mehdi est levé. Il est en t-shirt et laisse apparaître de nombreuses traces de piqûres dans ses coudes. J'ai mal pour lui. Il négocie l'ordinateur et écoute tout bas « Trop tard » de Bigflo et Oli. Je hais ce duo. Et pourtant, tout le monde me parle de leurs textes. Je tends l'oreille. J'ai compris pourquoi il écoute ça.

    Je me sens de plus en plus mal. J'ai évité la crise mais je sais qu'elle reviendra.
    Il est quatre heures et demie du matin quand je redemande un somnifère que le pharmacien me refuse. Je retourne dans mon lit en pleurant de rage. Je n'y arriverai pas.

    J'ai mal au dos à force de me tourner et me retourner. J'ai des crampes tellement je suis crispée. Je crève et je veux de l'air. Je suis incapable de me lever pour ouvrir la fenêtre.


    11h10. 47 heures et 50 minutes avant la fin du contrat. Je capitule.


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