• 30 mars 2017

    11h. Rien à faire. Vite, trouver quelqu'un pour aller en ville. Je veux acheter ce livre. Je ne veux pas sortir seule.
    Raté. Chacun vaque à ses occupations, chacun a quelque chose à faire. Je ne veux pas poser la même question à tout le monde, de peur de passer pour l'incarnation du désespoir.

    11h05. Me voilà seule dans la rue. J'ai quoi, cinq cents mètres à faire, pas beaucoup plus. Mon périple ne sera pas long. Et il faut bien que je réapprenne à ne plus être effrayée par la solitude face aux inconnus, face au monde entier.

    11h15. J'arrive à ma destination, après un chemin qui m'a paru bien trop long. Et pourtant j'ai fait tous les efforts du monde : me fondre dans la masse, raser les murs, et regarder les autres. C'était mon tour. Pour être certaine, pour me convaincre, pour étouffer ma paranoïa sous la vérité. Comprendre que les gens ont d'autres choses à penser, des enfants à surveiller, des vitrines à lécher. Comprendre que j'ai atteint mon objectif de l'instant : disparaître parmi les autres.

    11h20. Plus que le retour. Je ne vois rien, je n'entends rien, je ne suis plus là. Un homme me bouscule en me croisant dans une rue étroite et je me surprends à sourire : il ne me voit pas. Je ne suis plus rien, plus personne. Je me sépare de cette montagne d'illusions lorsqu'un automobiliste s'arrête pour me laisser traverser la route. Je n'ai pas disparu, je ne suis pas invisible, et le mec qui m'a bousculée n'était qu'un connard. Je sens l'angoisse m'envahir, mes larmes inonder mes yeux. Je les refoule. Je ne pleurerai pas pour ça, jamais.
    On m'a reléguée au rang de chose et je ne supportais pas l'idée. Je me suis résignée, et souvenue que le bonheur repose dans l'acceptation. Je n'étais plus rien cette fois-ci seule sous le soleil de la ville, et j'en étais presque heureuse.
    Remontons la pente

    11h29. Je suis arrivée en bas du lycée. Je monte les escaliers, trois ou quatre marches, trois ou quatre garçons sur le côté. Trois ou quatre secondes qui s'écoulent
    « Elle est bonne »
    « Ouais, elle a un bon cul »
    Incapable de savoir si c'était oui ou non à moi qu'ils parlaient. Je m'en fous. Qu'il se soit agi de moi ou d'une autre, je me sens blessée à l'identique. J'étais seule près d'eux mais j'ose croire que leur cible n'était pas mon corps, une fois de plus. J'ai eu peur.
    Ils ont brisé trois semaines d'efforts en trois secondes
    J'commence à comprendre qu'aujourd'hui, ma seule possibilité d'être heureuse ne sera pas de chercher mon bonheur d'hier. C'est d'accepter que ce harcèlement sexiste est inévitable pour n'importe qui

     

     

    J'étais

    le bonheur
    j'étais

    l'insouciance
    j'étais

    l'indépendance



    Je suis

    la haine
    je suis

    l'angoisse
    je suis

    "non"
    Je ne suis


    plus celle que tu as connue


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  • Lettre à mes harceleurs

    Ma maison, ma chambre, mon repaire,
    Samedi 18 mars 2017

    Bonsoir à vous deux.

    Oui, vous, les deux garçons dans les rues de *******, le 14 mars 2017 dans les environs de 16h45, près du club "L'équinoxe" et de la gare, vous vous souvenez de la fille habillée en noir avec le Eastpak jaune ? Oui, c'était moi. La fille à qui vous avez balancé toutes les atrocités du monde, le genre de mots qu'on ne répète pas, qu'on n'assume pas si on est seul, les mots qui blessent, qui attaquent, qui marquent à vie, qui laissent des cicatrices. Le genre de mots sur lesquels la victime n'osera pas revenir, par peur, honte aussi surtout.

    Je ne vais pas vous répéter ce que vous m'avez hurlé dans cette rue, j'imagine que vous vous en souvenez. Quoique, si vous avez l'habitude de ce genre de pratiques irrespectueuses, vous ne vous rappelez pas forcément chaque parole prononcée à chaque personne. Je laisse tout de même travailler votre mémoire et j'ose vous demander si vous auriez dit ça à n'importe qui.
    Pourquoi moi ? Parce que j'étais seule et vous étiez deux ? Parce que la moindre relation avec une fille vous manque vraiment trop ? Pourquoi ? Pour votre estime personnelle ? Pour vous sentir supérieurs ? Pour vous persuader que vous dominez le monde ? Pour « rire entre amis » ? Juste pour prouver que vous êtes sexistes, violents ? Pour vous convaincre que une fille c'est simple à attaquer ?
    Vous avez atteint votre cible avec moi, je vous l'accorde. Je ne peux pas le nier. Quatre jours que je ne dors plus la nuit, que je revis sans arrêt la scène, cette joute verbale entre vos mots et mon corps. Oui, j'ai fait comme si ces paroles me glissaient dessus, s'écrasaient sur une invisible carapace, mais c'est faux, loin de là. Vos phrases m'ont pénétrée au plus profond de mon être, jusqu'à fragiliser la moindre forme de confiance en moi que j'avais acquise jusqu'ici. Je n'ai pas osé me retourner, pas voulu voir vos sales faces qui ne mériteraient que d'avoir été bien giflées. Et si j'avais été accompagnée, vous auriez eu le courage de m'attaquer comme ça ? Non. C'est vous les lâches dans l'histoire, c'est vous les fautifs, même si vous avez réussi à me faire croire que c'est moi. Que j'ai cherché, qu'une fille de dix-sept ans n'a pas à se balader seule en ville en fin de journée. J'avoue que je n'aurais pas dû, que c'est dangereux, mais j'suis comme ça moi, j'suis indépendante.
    Plus maintenant.
    Je ne veux plus sortir seule, j'ai sans arrêt l'impression que tous les regards du jugement sont posés sur mon corps, qu'il y a toujours quelque chose qui ne va pas, que les yeux de chaque homme en ville sont destinés à évaluer si oui ou non je suis « quelque chose de potable ».
    Je ne suis pas une chose. Pas un objet. Pas une décoration qu'on étudie sous tous les angles pour savoir si oui ou non il nous convient. Je ne suis pas un chiot qu'on siffle pour voir s'il obéit à son maître. Je ne suis pas non plus une prostituée, qu'on appelle dès que l'on en a besoin.
    Vous m'avez brisée, à me rabaisser à tout cela. Vous m'avez détruite, et en beauté. J'ai peur. Peur que ça recommence. Peur de ne jamais redevenir comme avant. Peur que des gens comme vous se fassent de plus en plus nombreux autour de moi, dans ma vie future.
    Je n'ai même pas envie de vous insulter. Rien ne vous touche. Insensibles. Vous n'avez aucune notion de respect, aucune valeur, aucune idée du mal que vous pouvez répandre autour de vous. Ne venez pas me dire que « c'est bon, c'est une fois, c'est pas grave, c'est pas comme si tu le vivais tous les jours ». Certes, c'était une fois, mais une fois de trop.
    Je suis à genoux devant vous, en attendant vos coups. Défoulez-vous.
    Je ne sais pas encore quand, mais je me relèverai, plus forte que jamais. Un jour, je serais capable d'ignorer un maximum les gens comme vous, même si ce n'est pas totalement possible. Se faire rabaisser n'est jamais le truc le plus agréable du monde. Mais on se relèvera. Toutes les victimes se relèveront, dix ans après s'il le faut, mais vous n'aurez jamais la peau des gens que vous brisez.


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  • 15 mars 2017

    On t'a reléguée au rang de chose, d'objet. C'est ce qui a été sous-entendu. Par deux inconnus, à ton attention. Par deux inconnus à qui tu n'avais rien fait, rien demandé.
    Et tu t'abaisses à leur niveau. Tu acceptes sans mot dire leur jugement de valeur qui a pour toi autant de considération qu'un vulgaire objet sur lequel on s'épuise.
    Oui, tu les écoutes. Oui, tu les crains. Oui, tu en as peur. Par effroi, tu n'as même pas eu le courage de les affronter, ni même de te retourner. Aucun courage, aucune force, aucune réaction. Comme si tu consentais à leurs paroles, comme si ça ne te dérangeait pas d'être traitée de la sorte par des gens qui n'ont a priori aucune connaissance de toi. Et t'acceptes. Dans ce cas laisse-toi porter par ce genre de choses sans avoir le courage de passer au-dessus, jusqu'à ce que ces futilités te mènent à la mort. T'as perdu toute notion de force. Et il est là le problème, oui, le courage a désormais du mal à passer ta porte. Ta confiance en toi s'est évanouie dans le passé. Mais il n'est pas trop tard pour que tu la rattrapes, si tu réagis maintenant. Combien de temps n'oseras-tu plus sortir en ville sans être noyée parmi ton groupe d'amis ? Combien de temps encore paniqueras-tu quand tu seras seule en ville ? Combien de temps encore te méfieras-tu de chaque personne, ta personnalité à la frontière avec la paranoïa ?
    Je sais très bien que tu galères, que t'es influençable comme pas possible. On te répète de te reprendre, de "laisser couler, c'est des cons". Et à côté de ces belles paroles tu ne dors pas, tu doutes de toi, tu réfléchis à l'image que tu peux renvoyer. T'as peur que ça puisse recommencer, comme si une fois engageait un abonnement aux problèmes. Pas forcément Clara, pas forcément. T'es tombée sur des connards qui semblaient avoir plus de gueule que de couilles. Et de toute façon qu'est ce que tu comptes faire ? T'as pas de solution en tête. Pour toi c'est comme si c'était validé, tu es un objet, un animal à la rigueur, et pas plus, parce qu'on te l'a dit. Depuis quand tu te soucies de l'avis des autres ? Depuis quand tu considères comme constructive une critique qui n'était qu'une forme de méchanceté pure ?

    T'as peur de sortir seule. T'as peur de le revivre. Si tu le revis, t'auras peur de l'affronter.
    Si tu ne fais rien de plus, ta peur ne fera que de s'intensifier. T'auras beau envisager mille situations de représailles, de défense, de retour d'humiliation à son envoyeur, tu sais très bien que c'est toujours ta peur qui prendra le dessus au moment venu.
    "Emprisonnée."

     


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